Deep Web Stories : snuff nouvelles

Si l’on se demande bien souvent quelles saines lectures proposer à nos cadets, on se demande aussi parfois de quelles images corrosives s’entailler la conscience et se prend à espérer que la prochaine dragée surprise (de Bertie Crochu) aura goût de sang. Comme ici l’on fournit tout le monde (et on rase gratis), voici la dernière bonne came à glisser à votre meilleur ami, celui avec lequel vous partagez riffs hallucinés et plans désespérés. Quatre nouvelles, deux auteurs et l’infini abyssal des turpitudes humaines pour horizon: Deep Web Stories, de Pierre Dulau et Sham Makdessi.

Dans la torve lignée de Thomas Harris ou Clive Barker, ces nouvelles bâtissent les flèches de l’horreur sur la dissection de tumeurs réelles et fondent l’efficacité de leur style incisif et contemporain sur les vibrations chthoniennes de hantises ancestrales. Le scintillement des écrans, puisqu’il est question ici de dark net, n’est que le nouvel éclat de l’antique serpent et le diable murmure en octets. Tous les personnages se damnent pour avoir imprudemment (mais le fait-on jamais prudemment ?) pactisé avec ce partenaire invisible dont on ne sait rien si ce n’est que nulle chose n’est hors d’atteinte, ni ce que l’on convoite, ni soi-même.
Un voyeur possessif, un dealer à la poursuite de son rêve, un cocu vengeur et un pédo psychiatre : épaves disparates en horreur et en motivations mais dont la souillure laisse toujours subsister une part d’humanité pour la torturer plus horriblement. Il ne s’agit pour le lecteur ni de souffrir avec eux, ni de se délecter de leurs châtiments, mais d’apercevoir l’abîme et ses monstres à travers la fine glace qui parfois craque sous nos pas, de faire face à l’horreur de l’autre côté du miroir.

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L’indice d’une collaboration littéraire parachevée _ outre la survie des collaborateurs_ est de peiner à distinguer qui a écrit quoi et c’est ici le cas: dans les quatre nouvelles l’abjection côtoie la fragilité et l’ordure est parfois déchirée d’éclairs de beauté, aussi vite niés: Ich bin der Geist, der stets verneint !
Mais n’allons pas broder de la dentelle pour un zinc de bouge : le but ici est de divertir, comme chez Harris ou Barker, de divertir salement et cruellement, en rappelant précisément ce que l’on vient oublier, mais avec des putes, de la coke et du snuff autour. D’où les images clichés, les mafiosi-à-dobermans-et-fauteuils-de-cuir-au-milieu-d-un-hangar-vide-weshgros, les tueurs-asiatiques-sans-pitié-avec-un-masque-blanc-tavu et les russo-yougo (ne partez jamais trafiquer sans votre Slave de poche). Bref, si vous avez aimé Hannibal (le roman, 3ème de la série littéraire de Thomas Harris, bien plus sale que ce qui en a été fait sur écran), Black Mirror (la série) et A Serbian Film (le film) vous aimerez Deep Web Stories qui se trouve à la jonction la plus malsaine des trois.

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Comment se le procurer ?
Précisons d’emblée que TOUT ce qui environne ce livre, à commencer par la couverture même (je pourrais écrire des pages sur la contre-publicité faite par l’association du pire du graphisme allié au pire de la photographie dans un contre-sens symbolique total), est fait avec un amateurisme crasse en dépit du bon sens : un emballage dégueulasse (en mal) pour un contenu atroce (en bien). Ne prenez donc pas le risque de vous perdre dans le cabotinage contre-productif de l’éditeur et allez directement
ici pour la version papier (que je recommande et qui arrive en 4/5 jours)
et là pour la version numérique

Extraits:

« Bruno est dans la cour où se trouve le puits.
De la lumière en provient. C’est la nuit. Il s’approche de la margelle. Il entend de plus en plus distinctement la voix familière. Sauf que cette fois-ci, elle ne dit rien. Elle pousse des cris de rage et d’excitation.
Bruno s’approche plus près, passe sa tête au-dessus du rebord, et pour la première fois, il
voit.
Il voit ce qui est caché dans le reflet noir.
(…)
 Bruno jette ses bras par-dessus la margelle glacée et place ses mains autour du cou de la chose qui se reflète dans l’eau noire.
Il serre.
Il serre de toutes ses forces. Il sert le plus violemment qu’il peut. Il crache dans le puits, sur le visage de la chose. Il halète. Il crache encore. Il plie contre le rebord. Tout son corps le brûle. Il est en train d’exterminer cette vermine qui détruit sa vie depuis tant d’années. Ce désir. Cette bête. Ce monstre sans cage.
Cela dure un temps infini. Mais la peur, la peur terrible finit par s’évanouir. La violence reflue. Le cri se perd. Le visage s’évapore. La chose est morte. Il le sait. Enfin. Elle est morte. Bruno retire ses mains de l’eau glacée. Il n’y a plus que son reflet. Et la lune immobile qui éclaire la margelle. »
p. 320 et 322

„Il fourre les sacs plastiques remplis de billets dans son coffre mural puis se sert un Armagnac. Il songe qu’il est presque parvenu au point où son capital lui permet de se barrer d’ici. Encore deux ou trois deals. Quatre peut-être, et s’il joue bien, il pourra rejoindre son vieux pote en Californie. Acheter un ou deux commerces et vivre de ses rentes jusqu’à la fin de ses jours. Et oublier enfin cette ville qui l’a brisé et qu’il déteste…
Son Gris total et tiers-mondisé. Sa gueule de cancéreuse en phase 4.
Paris, cette vieille pute.
Z veut juste une place au soleil d’où contempler l’effondrement du monde en buvant des cocktails. Un serveur à disposition; de l’alcool à volonté. Que sa rage se dilue dans l’azur, qu’elle redevienne le ciel sans trouble des pays où il ne se passe rien. »
p. 124

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