Marcher d’un pas léger, souriant, vers la Mort.

Ce fut dit et redit, depuis mars pour certains, depuis plus de quatre ans pour d’autres, notre époque économise sa peau plutôt que donner un sens à son incarnation. Et on la comprend : la chair, plus que jamais viande, doit être d’autant plus préservée qu’elle n’existe que pour elle-même.

Contre la réduction de nos existences à des cellules réellement stériles et virtuellement interconnectées, la dernière voix en date est celle du festivus Bedos sur un ton suffisamment arrogant pour plumer son panache. Il s’est trouvé je ne sais quel chroniqueur du service public radiophonique pour y voir une attitude « plus nietzschéenne que kantienne ».
D’une part c’est faire un trop d’honneur au « dernier homme » (qui cligne de l’œil), de l’autre, dans ce cas précis rien n’empêche que la maxime de son action (de son refus d’auto-préservation) soit érigée en loi universelle. C’est en effet prendre « soin » de ceux que nous aimons que leur souhaiter une vie entière (en lieu de hongre) et de ne devenir des ombres qu’après leur mort. Si l’éthique du soin doit prévaloir, alors qu’elle puisse être soin du sens, de l’âme et de l’honneur, et non seulement de la peau.

Nous devrions porter le masque pour protéger les autres, leur donner un sursis à condition de les amoindrir : « encore cinq minutes, Monsieur le bourreau, fût-ce en prison », ne pas vivre soixante ans comme un mouton, mais quatre vingt comme un lombric.

Pour mes prochains, que j’aime comme moi-même, je demande ce que je demande ardemment pour moi : plutôt mourir que s’étioler, et ne vivre que le temps de composer une Œuvre. Un sonnet, un seul, pourvu qu’il touche aux étoiles. Deux vers, même, oh, un seul. On peut mourir heureux en ayant attrapé un rayon de Beauté dans le cristal du vers (que le potache dira solitaire, par vilain plaisir de ruiner mon instant) et en l’ayant transmis.

Je demande l’air frais, l’eau pure, la nuit étoilée, la lumière du soleil et pour seule préservation, celle de l’héritage génétique et culturel. La viande doit périr pour que l’esprit vive.

Je demande une vie pour le risque, pour la dépense, pour le don et pour la Mort.
Notre sœur, notre Mère la Mort, l’accoucheuse de nos œuvres avec ses bras d’horloge, la pourvoyeuse de sens, la dispensatrice de plaisir, de saveur et de prix, la mesure de toute valeur.

Je demande la grande beauté de marcher d’un pas léger, souriant, vers la Mort.

Masque créé par The Art of the Mask (présent sur FB et Etsy)

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