Parvissima : L’Or de Virginie et l’esprit européen

Parvissima : billets brefs sur peccadilles. Aujourd’hui : eudémon et cacodémon européens dans « L’Or de Virginie« , une chanson de Pocahontas des studios Disney.

Disney : l’excellent (les musiques des premiers chefs d’œuvre, leurs inspirations esthétiques, historiques, la beauté du dessin, Fantasia, la joliesse de certaines chanson, l’humour de certaines scènes…) comme le méprisable (les contes (ceux d’Andersen en particulier) et les mythes (celui d’Hercule) dénaturés et saccagés, la décadence du style (à partir de Mulan environ), la promotion d’un seul canon esthétique infantilisant et commun (front bombé, nez retroussé, petite bouche charnue), le pire du rouleau compresseur américano-mercantile : Musik kommt aus dem weissen Haus, und vor Paris steht Mickey Maus.)
Enfant, Pocahontas m’avait fascinée et émue par la force de ses images et, surtout, de ses chants (pour le plus grand agacement de mon père « le cri d’espoir du loup qui meurt d’amour », pfff, et puis quoi encore, ne prêtons pas à la nature des niaiseries humaines !). J’en connaissais toutes les chansons par cœur, et et il me semble désormais avec davantage d’objectivité que la portée martiale et/ou enivrante des musiques comme des images est indéniable, puisant aux sources du romantisme jusqu’à l’expressionnisme.

L’Or de Virginie, dont il est ici question, est une très juste représentation de l’aventure européenne et de ses bons et mauvais génie.  Comme il s’agissait déjà en 1995 de se battre la coulpe, le mauvais génie prend une part plus grande dans la chanson. Il s’agit du gouverneur Ratcliffe et de ses hommes (qui ne font guère qu’obéir à ses ordres et supporter ses caprices) : un aventurier (au sens social) sans scrupule, bourgeois autoritaire qui ne considère la terre que comme matière première de promotion sociale. Sous ses ordres hystériques, possédé par le démon de l’or, il fait du monde un réseau efficace, aplani, rationnel pour en extraire un métal qu’il ne considère que par sa convertibilité en chiffres. Certes or et pierreries sont aussi représentées pour leur « rayonnement » esthétique, mais celui-ci n’est qu’un symbole de pouvoir et de statut social et non une admiration de l’art en lui-même, de l’or comme pureté, éternité, et autres qualités symbolico-esthétiques qui font qu’une matière est, en elle-même et pour elle-même, noble et précieuse (ce qui ne s’explique pas que par la rareté : rien de moins rare que les pierres « semi-précieuses », rien de plus symboliquement et esthétiquement porteur). Ratcliffe représente le cacodémon européen : celui du calcul, de la conversion de tout en chiffre, des prémices d’un capitalisme où l’efficacité arriviste bourgeoise triomphe de tout ordre, que ce soit l’ordre naturel, l’ordre traditionnel (de la tribu Powhatan), l’ordre féodal (dans cette image où le vulgaire, couvert d’or, détrône le roi). On notera le travail sur le champ lexical et les rimes en « mine », plus pertinentes en anglais (mine et « mien/mienne » étant homophones), ainsi que « je suis le roi des con-quistadors » (sans toutefois assurer que la référence soit intentionnelle). Visuellement la partie consacrée à l’exploitation, la domination technique par Ratcliffe et ses hommes se rapproche de lignes expressionnistes (mouvement qui, dans l’Allemagne du début du XXème siècle, s’est attaché au sublime souvent démoniaque des paysages guerriers et industriels : peut-être, avec la connaissance profonde et la maîtrise des symboles qui sont leurs, les artistes des studio Disney ont-ils volontairement tracé cette filiation entre les prolégomènes des révolutions sociales et industrielles, du triomphe calcul et de la technique, et un de leurs aboutissements, entre le cacodémonisme impérialiste de l’Europe et son suicide interne au XXème siècle que l’ont pourrait voir préfiguré dans les explosions, tranchées, entonnoirs et projections de terre).

Face à Ratcliffe, John Smith, et face à l’expressionnisme, le romantisme inspiré par Caspar David Friedrich. En 2018 il serait presque impossible d’exalter ainsi l’eudémonisme européen sous les traits d’un homme hétérosexuel blanc, et qui plus est blond aux yeux bleus (1), qui, dans des élans d’enthousiasme, chante son amour pour une terre que l’on peut gagner par son mérite « comme on prend le cœur d’une femme« . Notons que la suite est pour lui une leçon d’humilité et de relativisme, mais cette minute d’exaltation serait sans doute insupportable aux censeurs actuels. John Smith s’intéresse au monde de « mystères » et à ses paysages, en lui-même et dans sa profondeur, dans son ombre, profondeur et ombre qu’il entend bien percer (et traducteurs français de s’emparer de la portée érotique de la chose, là où l’original anglo-saxon ne s’intéresse guère qu’au défi et à l’aventure) mais dans une véritable rencontre à la fois aventureuse et contemplative. Il est l’aventurier-poète, représentant du génie européen dans son meilleur (et sa naïveté) : la découverte, l’exploration, l’aventure, l’attention et la curiosité envers l’autre. Hanté par une recherche qui n’a pas de nom et qu’il ne reconnaît que lorsque il l’atteint (« toute ma vie j’ai cherché… ») il contemple le sublime et la diversité des paysages là où Ratcliffe les réduit au même infiniment répété : le chiffre. Ainsi les deux élans alternent « Merveilleux décor » dit Smith « Cette terre vaut de l’or » répond Ratcliffe.
Smith cherche à se dépasser, à être plus que lui même, il est, comme Ratcliffe, insatiable et poussé en avant, plus haut, plus loin (le mal, ou le bien, européen) mais par ce qui s’apparente à une quête ontologique, de découverte du monde et de lui-même.
Il est l’Europe des explorateurs, des ethnologues, des anthropologues, des zoologues et botanistes, des archéologues, qui cherchent à découvrir la raison du monde.
Ratcliffe est l’Europe des gestionnaires, des gouverneurs, des exploitants, des techniciens, des normalisateurs qui cherchent à imposer leur raison au monde.

1995-ratcliffe-11

(1) au jeu des symboles physionomiques, l’opposition entre Smith et Ratcliffe correspond aussi à l’opposition Nietzschéenne entre « Brute Blonde », naïve, vigoureuse et gaie, et « homme du ressentiment » (la quête de Ratcliffe est une réaction face aux gloires espagnoles et portugaises, mais aussi une revanche sociale sur ses rivaux (évoqués par le texte anglais))

1995-ratcliffe-11
(et n’allez pas en faire des memes que je réprouverais, je vous vois, je sais qui vous êtes)

2 commentaires

  1. Haha, vous êtes une blague : je me dis « tiens, un cuistre, voyons ce qu’il commet », je tombe sur un article aussi indigeste qu’indigent sur Dr House : paille poutre, biquet ! (en outre, si l’ « intox des studio Disney » consiste à célébrer le génie européen de l’aventure, l’exploration et de la pensée méditante portée sur les ailes de la Wanderlust, alors c’est très bien, qu’ils continuent, quant à vous, si vous êtes encore incapable de voir les deux faces d’une même pièce, le chiffre et la figure comme dirait Jünger, ne désespérez pas et que votre progression soit joyeuse).

    (edit : je répondais à un vulgaire paltoquet qui m’accusait de promouvoir le Grand-Satan-Disney et son « message », prouvant par là les étroites limites de son entendement, MAIS pour éviter de lui faire de la publicité en conservant céans son nom, et donc un lien vers ses grotesques inepties bloguesques, j’ai supprimé ledit commentaire. Notons que je conserve précieusement toute contradiction, mais en l’occurrence il n’y en avait aucune, un simple péon qui rageait).

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  2. « Paltoquet », l’insulte ultime. Du coup, l’indélicat n’est plus revenu !

    Toujours est-il qu’il n’y a pas à rougir de son goût pour les Disney de la grande époque. Il est de bon ton de les critiquer, dans certains milieux, en raison de leur apparente facilité ; c’est oublier qu’ils ont permis de diffuser, auprès de la jeunesse (américaine et, par extension, mondiale) une iconographie très riche, que les enfants n’auraient pas nécessairement connue sans cela. Par exemple : les références à l’expressionnisme allemand dans Fantasia, le détournement d’enluminures médiévales dans La Belle au Bois Dormant… Le catalogue de l’exposition « Il était une fois Walt Disney : Aux sources de l’art des studios Disney » (Réunion des musées nationaux, 2006) est truffé de références de ce genre. Il suffit de le feuilleter pour s’apercevoir que si l’on connaît les œuvres évoquées, c’est bien souvent par le truchement des films de Disney. De sorte que le visionnage de ces films, étant enfant, a contribué (d’une manière plus ou moins appuyée), à développer, voire structurer, notre esthétique personnelle. C’est déjà pas si mal !

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