Pour en finir avec le genre

[ATTENTION:  faites une pause entre les parties, restez hydratés et conservez la distance de sécurité]

Le genre n’a jamais autant pesé sur les débats publics et privés que depuis qu’il est question de s’en affranchir. Il ne nous a jamais autant contraint à des détours, précautions et postures que depuis que nous, c’est à dire l’Occident influencé par les études sociales américaines nourries d’existentialisme beauvoirien, avons décidé qu’il n’était que construction sociale établie à des fins de domination d’une moitié de l’humanité par l’autre.
Depuis une demi douzaine d’années en France il est le sujet le plus efficace et le plus immédiat pour dire quelque chose quand on n’a rien à dire. C’est encore plus simple que s’intituler coach en nutrition ou spécialiste ès régime en brassant des vérités générales connues depuis des millénaires dans une perpétuelle redécouverte de l’eau tiède. Mais tandis que personne ne songerait à suivre les conseils d’un nutritionniste obèse, dans les questions de genre, en revanche, des dragueurs compulsifs et involontairement célibataires, des misandres ou misogynes auto-proclamés, des maritornes vieilles filles glorifiant leur avortement délivrent leur sage enseignement (« Un homme un vrai, c’est… » « La place des femmes c’est… » « Ce que veut réellement l’autre sexe, enfin expliqué en 10 points. » « Comment imposer vos 140 kilos de perfection en shorty au bal de l’ambassadeur pour détruire le partiarcat.« ) à un public inquiet de ce qu’il a entre les jambes, dans le cœur et dans la tête, et de qu’en faire sans trop souffrir ni faire souffrir.
Il s’agirait d’en finir avec cette assourdissante cacophonie aussi vide, fallacieuse, épuisante et néfaste qu’assurée (hélas) de faire vendre (des t-shirts, des formations, des livres, de l’espace publicitaire…) :
– tout d’abord en exposant l’inanité objective et l’efficacité marchande des débats autour du genre,
– puis en revenant sur les grandeurs et misères du féminisme comme du masculinisme,
– enfin en rappelant la complexité des polarités traditionnelles et le sens des symboles.

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1) Le genre nous brouille l’écoute (avec sa panne de micro).

On ne dit rien de neuf en rappelant que les manifestations matérielles des questions de genre, inspirées par les débats et mouvements sociaux en vogue depuis les années 1960 (1), ont l’économie pour alpha et omega. C’est même un fait sur lequel s’accordent féministes et masculinistes. Que l’émancipation féminine par le travail n’ait été qu’un habile moyen pour le capitalisme de recruter de nouveaux esclaves et de soumettre la famille aux lois du marché ou que le sur-genrage des produits et particulièrement des jouets en plastique à partir des années 1980 soit avant tout un moyen de vendre deux fois plus en empêchant qu’un même jouet serve aux enfants des deux sexes d’une même fratrie, le constat reste le même : diviser en niches fait vendre et le seul « pouvoir » qu’on accorde à ces niches est le pouvoir d’achat (et celui de se vendre sur le marché), c’est ainsi que naît d’abord l’économie puis la société des particularismes (on cible, et, ciblant, on crée sa cible). De nombreuses études historiques ont montré l’importance des premiers journaux féminins, d’abord consacrés à la mode à la toute fin du XVIIIème siècle, dans l’expression de sensibilités féminines et la reconnaissance des particularismes de genre : avant d’avoir Une pièce à soi ces dames ont pu avoir « un espace littéraire à soi ». A la source cependant reste l’impératif marchand, l’ascension de la bourgeoisie, la multiplication du même (vêtement), la promotion du désir mimétique, les prémices du capitalisme.

Depuis quelques années (les années 2000, après 40 ans de débats et de changement sociaux) le discours sur le genre lui-même sert, consciemment ou non, un « marché du genre » : le féminisme fait vendre des t-shirts, des sacs en toile, des mugs… tout ce que l’on peut imprimer de slogans amusant, pétillants, pastels, ironiques. Les slogans situationnistes, dans le même temps, sont devenus des marques. L’abjection finale est atteinte lorsqu’une vedette du divertissement matraqué, l’équivalent dans la variété musicale du block buster hollywoodien, choisit de se trémousser en body devant le mot « FEMINIST » pour faire passer un message (Beyoncé, 2014) : le message est en effet clair « comme les années 1990 avec la paix et la faim dans le monde, la lutte pour les particularismes est le nouveau Bien, je suis dans le camp du Bien, j’utilise le féminisme pour le proclamer en toute sécurité dans ma quasi-nudité protégée par 10 gardes du corps et mes milliards, donnez-moi votre attention et surtout votre argent ». Il est reçu : la plupart des jeunes femmes adhèrent. Elle ouvre l’ère du femwashing américain : tout doit toujours être féministe, toute production culturelle doit mettre en avant une « femme forte » qui « défait les stéréotypes de genre », chaque block buster promeut sa guerrière plus forte que 5 hommes ou met à jour ses franchises en les féminisant. (2)
Le discours anti-féministe, qui s’emploie souvent à dénoncer les origines ou dérives marchandes du féminisme, utilise les exacts mêmes ressorts pour se vendre, comprenant que rien ne fonctionne mieux dans le marketing d’opinions que le narcissisme et les insécurités sexuelles. Coachs en séduction, gourous masculinistes et autres autoproclamés « maîtres du logos » promettent au jeune homme un schéma clair et « imparable » pour maîtriser les rapports sociaux et les aspirations féminines : on parlera de lui, des misères que lui fait subir la société féministe oppressive, de celui qu’il est réellement et qu’on l’empêche d’être, de comment « devenir qui il est » (Nietzsche se vend bien) en s’émancipant du joug maternel et castrateur. C’est à dire l’exact même structure que le discours féministe, de l’incompréhension déboussolée au ressentiment (on oublie Nietzsche quand il le faut) et du ressentiment à la revanche auto-centrée. C’est pourquoi dans leurs penchants victimaires et revanchards communs, le masculinisme est un féminisme au carré : il fait son marché sur la dénonciation de ce dont il copie les tares.

La question du genre ne cesse de revenir sur toutes les scènes, dont théâtrales (de Lysistrata aux Monologues du vagin) car elle ne cesse de se confronter au mystère de l’altérité que seul le registre du symbole est à même d’approcher, avec la subtilité et la distance interprétative nécessaires (comme on le verra en troisième partie) et s’y confronte avec tout l’aveuglement du premier degré à prétentions scientifiques et empiriques. Les impostures se sont succédé avec le même aplomb jusqu’aux dernières pseudo-sciences comme la psychologie évolutionniste, brassage du plus mou des sciences molles (sociologie, psychologie appliquées à des époques qui ne permettent au mieux que des spéculations ténues, mépris des réalités anthropologiques et des productions réelles des peuples) et du plus tautologique des sciences statistiques (qui, au mieux, ne constatent jamais que ce qu’on sait déjà et auxquelles, au pire, ont peut faire dire absolument n’importe quoi à grands coups de corrélation).
Là où les symboles structurent les civilisations en associant matière et essence, en tissant des correspondances rituelles entre éléments d’ordres divers, les discours se heurtent, en matière de genre, à ne répéter que l’idéologie du moment à affirmer des valeurs sans rien constater. De telles affirmations ont tout leur prix et leur utilité civilisationelle, mais ne sauraient se faire passer pour expressions définitives de vérités éternelles.

Jusqu’au XIXème siècle par exemple l’Occident a considéré la sexualité féminine comme débridée, incontinente, insatiable : il fallait, pour la civiliser, la tenir en brides serrées. Depuis le mythe Tirésias osant révéler (pour la plus grande colère d’Héra) le secret de l’orgasme féminin (neuf fois plus puissant que l’orgasme masculin) jusqu’aux grandes hystériques de Charcot, la femme était considérée comme un être éminemment sensuel, avide des plaisirs charnels où se déployait (et se rechargeait) son pouvoir (3). Au XXème siècle en revanche la sexualité féminine s’atrophie dans les stéréotypes de genre: elle serait moins évidente, surtout cérébrale, avant tout affective, plus rare et sélective. La nature féminine aurait-elle ainsi basculé à 180° en quelques décennies ? Comment les femmes pourraient-elles être, des millénaires durant, gouvernées par leur insatiable besoin de sexe et l’inhiber en l’espace de deux générations pour devenir des migraineuses chroniques qui préfèrent la tendresse à la pénétration et doivent bien se rendre compte qu’elles ne peuvent, à elles seule, satisfaire les besoins intempestifs de leurs compagnons (par essence polygames, eux) ? C’est qu’il ne s’est jamais agit de science ou d’empirisme objectif mais d’une affirmation de valeurs : le féminin doit s’opposer au masculin, et le masculin doit être la norme à suivre pour l’honnête homme auquel ces discours s’adressent.
À des époques où la civilisation a affirmé des valeurs de maîtrise des pulsions et de tempérance (d’où la représentation atrophiée des organes sexuels sur nus masculins antiques signifiant que l’homme accompli n’était esclave de ses « bas » instincts) la virilité devait incarner cette retenue, et s’opposer à une intempérance rejetée dans le monde féminin. Notre époque au contraire est celle de la consommation des biens comme des personnes, l’homme doit être consommateur avant que d’être citoyen, et le consommateur est gouverné par ses désirs. Cest alors la conquête effrénée, le don juanisme sériel et compulsif, qui est prôné comme valeur masculine. L’homme que l’on doit désirer être a, de par sa réussite et sa puissance, accès à toutes les femmes et les consomme. Si l’appétit sexuel devient l’apanage du mâle alpha son contraire doit alors être présenté comme féminin.
Cela revient-il à dire que, précisément, les polarités sexuelles ne sont que constructions sociales ? Non, et on le verra plus tard, mais ces polarités s’expriment davantage et mieux dans les mœurs, dans l’art et les symboles que dans un discours prétendant les fixer et les disséquer une fois pour toutes, ou les nier.

En plus d’être une opération marchande reposant sur le vent des modes et idéologies, la focalisation genrée qui consiste à tout voir en tant que femme, en tant qu’homme ou en tant que potentielle victime d’une société sexiste, raciste, classiste, validiste (ad lib) abaisse le niveau de réflexion. On passe de Térence et son Homo sum, et humani nihil a me alienum puto (4) à « je pense et me situe dans le monde en tant que déterminé par mes particularismes ». Ce pourrait être une preuve d’humilité et de reconnaissance du donné physique mais paradoxalement n’a de cesse de les nier : on est invité à se positionner avant tout en tant que (par exemple) femme pour dénoncer les multiples façons dont ont peut être offensée ou oppressée, mais à nier le rapport constitutif de cette féminité avec le fonctionnement utérin, les hormones, la possibilité de la maternité, le temps cyclique, la disposition des masses musculaires et graisseuses. Au lieu d’être Homme et de s’intéresser aux choses humaines, on se définira selon son sexe, sa race, son âge, son régime alimentaire pour choisir le magazine, le stylo, le shampoing, la vision du monde correspondant à ce particularisme. C’est pourquoi ce qui s’y destine est systématiquement méprisé (et souvent à juste titre): les revues féminines sont méprisées, les romans pour ados sont méprisés, les magazines masculins sont tout autant méprisés non par sexisme ou classisme mais parce que seul ce qui concerne l’Homme élève, d’où l’estime subsistant pour les sujets tels que les arts, les sciences ou la politique qui exhaussent l’individu outre ses particularismes. (5)

2) Grandeurs et misères du féminisme et du masculinisme.

Si l’omniprésence étouffante des discours sur le genre, le sexe et leurs infinies variations lasse, c’est avant tout du à quelques dérives dont la plus grave est celle de la dé-réalisation. Elle ne doit pas invalider les avancées permises par le féminisme mais les menace de fait par sa coupable négligence des motifs de recul et des nouveaux combats à mener.
Ces victoires, le féminisme, ou lutte pour l’émancipation des femmes, les a connues par trois voies : les écrits théoriques et politiques, les voies de fait et la mobilisation populaire. Ce sont les réflexions et écrits des premières féministes qui, circulant dans les milieux politiques et intellectuels, ont permis que les voies de fait fassent jurisprudence et deviennent autorisations légales, qu’il s’agisse de la présence de femmes dans les université scientifiques (on pense à la philosophe et mathématicienne Sophie Germain), dans la politique etc… En programmation informatique comme en médecine ou en sculpture, ces pionnières n’ont pas attendu que la société leur accorde des droits, des quotas ou se montre « moins oppressive », elles ont suivi leur vocation et leur nature propre et ont prouvé par l’exemple au lieu de réclamer a priori. Mais de tels exemples, de telles « femmes d’exception » n’ont pu ouvrir les portes aux autres que grâce au travail théorique, idéologique, philosophique d’autres femmes et d’autres hommes.
La rue et la récrimination bruyante et parfois violente ne sont pas non plus inutiles ou « contre productives » comme il est parfois dit de nos jours dans les milieux conservateurs : c’est grâce à ces mouvements populaires, gênants et inconvenants que les femmes ont obtenu la citoyenneté et la majorité civique (et c’est en cela qu’on parle d’émancipation, émancipation de la tutelle paternelle ou maritale) dans de nombreux pays, tandis que d’autres y sont passés plus pacifiquement, par conviction politique ou vertu de l’exemple.
Ainsi le féminisme a-t-il permis, dans un premier temps, le bénéfice essentiel et incontestable de l’ouverture des portes de toutes les fonctions aux femmes capables de les remplir. Cette victoire, celle de la liberté et de la reconnaissance des capacités, a cependant précipité la chute du combat qui l’avait rendue possible en se muant en politique égalitariste des quotas et des barèmes discriminatoires, remplaçant le mérite par une politique du chiffre et de l’abaissement des critères (dans l’armée par exemple) qui a rendu légitime le soupçon qu’une femme pouvait ne devoir sa position qu’à son sexe (6).

Cependant, là où le féminisme s’est réellement dénaturé et décrédibilisé c’est quand il s’est mué en néo-féminisme ou féminisme de troisième vague, celui de toutes les déconstructions et de l’intersectionnalité.
Le constructivisme beauvoirien était avant tout un existentialisme : l’existence précédait l’essence, on se créait par ses actions et ses mimétismes sociaux, on « devenait » alors femme. La distinction entre genre et sexe n’a rien de révolutionnaire ou destructeur : il s’agit de différencier le donné physique de ses manifestations culturelles, non pour nier le rapport, la détermination entre les deux, mais pour affirmer la part de performance dans l’expression du féminin et du masculin, ce qui n’est qu’une observation de bon sens et un outil particulièrement intéressant des études sociologiques et anthropologiques. Si le sexe (organique) est universel, le genre quant à lui se manifeste différemment selon les cultures : la féminité prolétarienne n’est pas la féminité aristocratique, et la féminité japonaise n’est pas la féminité espagnole. Sans même s’intéresser aux performances transgenre (théâtrales ou marginales) la performance du genre est observable quotidiennement chez toute femme entre son réveil, sa tenue de bricolage ou de sport, sa tenue de travail et sa tenue de soirée : si l’on prend quatre portraits, ils varieront en degré dans leur féminité, tandis que la femme, elle, n’a pas changé de sexe.
Le constructivisme du néo-féminisme, lui, nie et s’attache à déconstruire tout lien entre le donné physique et son expression culturelle : les genres seraient alors complètement détachés du sexe, infinis, variables, comme autant d’avatars que l’on peu revendiquer selon les caprices de sa subjectivité. Toute polarité (féminin et masculin, beau et laid, sain et malsain) est vue comme norme et chaque norme comme un carcan oppressif dont il faudrait s’affranchir en le pulvérisant. Tout critère appliqué de l’extérieur (par la civilisation, l’histoire, la culture, le milieu, la famille) est perçu comme une violence à la subjectivité souveraine. Les concepts de beauté et de santé sont, dans ces milieux politiques, considérés comme oppressif : est beau qui déclare l’être et, par défaut, tout le monde. (7)

La lutte intersectionnelle est quant à elle le dernier clou dans le cercueil du néo-féminisme et le plus dangereux pour les victoires féministes précédentes et la condition féminine en Occident. Il s’agit de la convergence des luttes de minorités et des particularismes : sous prétexte d’une oppression commune sous le régime patriarcal blanc (ou blantriarcat ) le féminisme s’est converti à l’anti-racisme et à la défense de l’islam au point de laver a priori tout homme non blanc et/ou musulman de ses crimes sexuels. C’est ce processus de dé-réalisation qui prétend mettre sur le même plan la pression, les blagues lourdes, les propositions indécentes d’ hommes (majoritairement blancs) sur des femmes dans le monde du travail et les viols en bande, les agressions mortelles au couteau, les viols racistes aux cris de « sale blanche », les gangs de proxénètes que subissent les femmes dans les quartiers où le « mâle dominant » n’est pas a fucking white male. Le dominé social devient dominant géographique et physique dans des quartiers soigneusement évités par les tenants du féminisme intersectionnel.

C’est lorsque le féminisme ne parle de sexisme que sur les tapis rouge du divertissement international ou dans des reportages sur « ces pays arriérés où il ferait bon importer nos lumières » en laissant tomber les filles de Telford, Rotherham et de toutes les caves de Fontenay Sous Bois et d’ailleurs qu’il se rend inaudible. C’est aussi quand il refuse de nommer l’agresseur pour ne pas « ajouter aux discriminations subies par les minorités », c’est quand il soutient les fashion-hijabettes qui préfèrent la charia à la loi républicaine et n’accueillent pas favorablement les luttes homosexuelles « caractéristiques du blantriarcat et de son hégémonie culturelle ». C’est enfin quand les starlettes du girl power et les blogueuses des slut walks chantent et twerkent dans des quartiers bourgeois leur droit inaliénable d’arpenter le trottoir en talons et mini-short sans être prises pour des prostituées alors qu’une simple robe d’été est interdite aux femmes des quartiers entièrement musulmo-racisés.

La frénésie de subjectivisme jouisseur et autotélique du néo-féminisme américain qui hurle sa haine du monde patriarcal de la contrainte peut cependant s’expliquer par la bande, ou plus exactement par l’élastique : comme sur un élastique, plus la tension sociale est forte dans une direction, plus violente est la réaction inverse. Après le XIXème siècle, un des plus misogynes dans ses lois et mœurs embourgeoisées, après le XXème siècle publicitaire et son idéal martelé jusque dans les années 1970 de femme domestique aussi parfaite que discrète et aussi efficace qu’agréable à son seigneur-et-mari, le retour d’élastique ne pouvait être que cinglant. Cette réaction souvent disproportionnée a elle aussi engendré son image outrée, par nouveau retour d’élastique : le masculinisme. Si une partie des revendications masculinistes sont assimilable à un ressentiment boudeur devant une perte de monopole (quasi-monopole des hautes études, de l’indépendance, du travail, de la fortune, de l’influence, du commandement, les conduites stupides à risque…) une autre relève de la simple réaction aux outrances féministes et à la double perte de crédibilité déconstructiviste et intersectionnelle. Il n’empêche que ces courants n’ont engendré qu’une reproduction pathétique de ce qu’ils dénonçaient : hystérie face aux questions de genre et incapacité argumentative, déploration de la pression qui s’exerce sur eux, entre-soi et création de zones de confort (safe spaces, qu’il est mieux vu dans ces milieux d’appeler « clan » voire « meute »), conseils pour séduire, pour deviner ce que désire l’autre et y correspondre, sensiblerie et fragilité nerveuse devant l’humour un peu oppressif et légèrement misandre (sans commune mesure avec la prégnance de l’humour misogyne jusqu’aux années 1970 comprises). Si le féminisme pour les masses a eu pour effet secondaire l’imitation par les femmes des tares traditionnellement associé au masculin (cigarette, violence, vulgarité langagière et gestuelle, criminalité…) il semblerait que le masculinisme se mette à produire l’imitation des tares traditionnellement associées au féminin. Il est en effet plus facile de s’approprier les défauts que les vertus de l’autre genre et l’égalitarisme de masses semble devoir produire le nivellement par le pire.

Mimétismes pathétiques à deux exceptions près, sur lesquelles féminisme et masculinisme auraient du se retrouver si la pensée de la barricade n’était pas si forte : d’une part la promotion de la paternité et du rôle du père dans l’éducation de l’enfant contre la tendance massive à n’accorder qu’à la mère la garde de ses enfants en cas de divorce, d’autre part la reconnaissance salariale du travail domestique féminin. D’un point de vue masculiniste et patriarcal cette dernière mesure permettrait aux femmes de tenir leur rôle traditionnel avec un plus grand confort et de se voir respectées et reconnues dans leur tâche de mère de famille et maîtresse de maison (ce que, soit dit à leur décharge, ces milieux sont loin de tenir pour un rôle subalterne ou méprisable). D’un point de vue féministe, cette mesure prendrait en compte les différentes vocations possibles pour une femme (ce que, soit dit à leur décharge, la plupart des féministes ont à cœur, loin de vouloir imposer un modèle unique) et lui permettrait, en cas de divorce, de ne pas se retrouver démunie, sans ressources ni expérience, et ainsi de ne pas dépendre du seul salaire masculin.

Si la « réaction élastique » est une forte tentation dans les rapports sociaux et individuels, on peut tenter d’y échapper en considérant que la réaction est toujours soumise à la force qui la provoque. Réagir c’est agir en fonction de ce qui n’est pas soi, c’est se laisser dicter ses actes non seulement par autrui mais encore par un mécanisme de ressentiment. Contre la réaction élastique instinctive et nerveuse, on peut essayer de développer un certain détachement qui, sans se muer en indifférence, permettrait lucidité de la réflexion et justesse de l’action.

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« Evohé, Evohé, entonnons un chant bachique » (cf note 8 en fin d’article)
chouinage
Vous reprendrez bien un peu de développement personnel, de pensée positive (on « rôde », tel le majestueux prédateur dans les hautes herbes) et de pleurniche ? Pas de doute, vous êtes sur un blog fémin… euh, masculiniste.

3) Genre et tradition symbolique : l’interprétation contre l’auto-déterminisme.

Outre les questions propres au féminisme et au masculinisme, c’est à dire aux relations de pouvoir entre les sexes, si le problème spécifique du genre s’est posé dans la contestation de la dualité féminin-masculin c’est que plusieurs générations en ont perdu les clefs d’interprétation et que cette dualité n’a plus été perçue et vécue que comme deux mondes hermétiques, monolithiques et peu à peu nécrosés. Pour qui a ne serait-ce qu’une vague idée de la tradition et de son cosmos symbolique, les tentatives ignorantes et auto-didactes de la retrouver avec des outils comme l’échelle de Kinsey ou le bonhomme en pain d’épice du genre prêtent à sourire ou à soupirer. Mais comment reprocher à des générations entières que le positivisme, le scientisme et le mépris d’une sagesse jugée obscurantiste ont coupé de la fréquentation des « forêts de symboles » d’être déboussolées et de chercher à retrouver avec autant de maladresse que d’arrogance une complexité pressentie mais inaccessible ?

L’échelle de Kinsey envisage les sexualités hétéro- et homosexuelles non comme deux blocs séparés mais comme une gradation continue qui va de la stricte hétérosexualité à la stricte homosexualité et permet une subtile variété de nuances. Le bonhomme en pain d’épice du genre est un outil de représentation des différentes variables entre genre et sexe qui présente trois autres échelles aussi graduées et continues que celle de Kinsey qu’il conserve en matière d’attraction sexuelle. Les autres représentent le donné biologique (strictement homme, strictement femme et les différentes variations hermaphrodites ou intersexuelles), le ressenti mental (se définir soi-même comme homme, femme, et toutes les variations possibles en passant par la neutralité) et l’expression esthétique et sociale (se montrer selon des codes masculins, féminins, avec même gradation).
De là naît une infinité de chapelles auto-déterminées, chacune avec son petit drapeau et ses termes : neutres, asexuels, demisexuels, aromantiques, genderfluide, genderqueer, neutrois, pansexuel… qui peuvent se combiner entre eux par quatre (ou plus si on aime compliquer les choses).
Une fois qu’on a bien ri et évoqué les trans-âges, trans-espèces et autres «assignés moissonneuse-batteuse mais s’identifiant lance-roquettes» on peut envisager cette inutile complication comme une appréhension malhabile de la complexité traditionnelle des polarités sexuelles.

Dans toutes les médecines et cosmologies traditionnelles, en effet, de l’antiquité jusqu’aux derniers alchimistes de l’époque moderne, le monde est polarisé par des archétypes et des symboles qui s’opposent et forment des architectures tantôt binaires (masculin / féminin, ciel/terre, soleil / lune), trinitaires (la tripartition indo-européenne des orants, guerriers et travailleurs, les triades latines, la trimûrti hindouiste), tétragrammatiques (les humeurs de la médecine antique et médiévale entre sang, lymphe, bile jaune et bile noire mais aussi chaud, sec, froid et humide ou feu, air, terre et eau) pentagrammatiques (le système chinois) etc…. Ces éléments primordiaux, directions cardinales, archétypes divins, principes masculin et féminin, esprits animaux… sont tous toujours présents au sein de chaque personne où chacun se développe en diverse mesure. Tel qui aura, selon le système hippocratique (de la médecine antique et médiévale européennes) une nature plutôt mélancolique (ou saturnienne, la symbolique astrale jouant un rôle non négligeable dans la question) ne sera pas pour autant dépourvu de lymphe, de sang et de bile jaune (sinon il ne pourrait vivre), simplement la bile noire domine chez lui et on trouvera difficilement deux mélancoliques qui le sont au même degré. Pour prendre un autre exemple, une personnalité marquée par l’élément « bois » en médecine chinoise contiendra également les quatre autres éléments, chacun pouvant varier au cours de son existence (et même au cours d’une année, ou d’une journée). Tout l’art médical consiste alors à éviter les déséquilibres violents et à contrebalancer telle tendance naturelle par tel autre principe.
Il en va évidemment de même, et c’est là tout l’enjeu de ce développement, pour les polarités sexuelles, et tout le mérite de Jung d’être revenu à la tradition pour rappeler que les deux principes étaient présents en chaque être, en diverses proportions. Nulle femme est purement femme, nul homme est purement homme, cependant l’humain reconnaît ces principes comme correspondant à la nature idéale de chaque sexe après des millénaires d’observations empiriques. La grande subtilité est que ces médecines et cosmologies traditionnelles, tout en affirmant la norme, l’équilibre et la majorité, ne nient jamais l’exception : tous ces systèmes, autrement plus subtils, complexes et gradués que le bonhomme de pain d’épice évoquent, depuis l’antiquité asiatique jusqu’au moyen âge européen, les cas de femmes masculines, d’hommes féminins et d’êtres correspondant à une parfaite balance de tous les éléments. Simplement ces cas sont reconnus comme des configurations exceptionnelles qui ne sauraient pas plus être niées qu’elles ne sauraient remettre en question la norme et l’essence des symboles. En effet, si un archétype masculin trouve à s’incarner en une femme, c’est cette femme qui est ainsi désignée comme appartenant au monde masculin, et non l’essence masculine de l’archétype qui est remise en cause. Le malheur de notre temps est d’avoir subi une longue négation des exceptions et d’en tirer l’idée folle qu’elles devaient dorénavant devenir normes.
Au sein même des polarités sexuelles traditionnelles se distinguent différents archétypes, souvent représentés par les divinités auxquelles on pouvait choisir de se vouer, ou d’honorer avec plus ou moins de ferveur : Apollon, Hermès, Héphaïstos et Arès, par exemple, ne représentent pas le même type de masculinité, et là encore, les combinaisons et variables sont multiples.

Il n’y a donc rien de nouveau à dire la complexité de la manifestation du genre chez une personne, mais il y a beaucoup de présomption (souvent inconsciente) à vouloir ré-inventer ce qui a été transmis et observé depuis des millénaires.
Ce que l’on a perdu c’est le sens du symbole, du degré et de l’interprétation : on veut s’auto-définir quand il s’agirait d’interpréter pour reconnaître en soi (ou en l’autre) les éléments et les archétypes. L’essentialisme brutal, hérité du scientisme des XVIIIème et XIXème sicèles et de leurs « lumières », est tautologique, il ne voit qu’un seul degré, sans la séparation entre forme et matière qui rend le symbole possible : « Ce qui est est. L’homme est masculin, la femme est féminine», discours de muet. Le constructivisme, lui, n’admet aucune détermination physique et se veut sans corps ni limite : «Je suis tout, je me crée moi-même. Tout peut être tout et remplir toute forme par le seul pouvoir de ma volonté subjective.», il veut atteindre la coincidentia oppositorum, la réunion des contraires, tenir ensemble le masculin et le féminin, le jour et la nuit, le ciel et la terre, sans avoir fait l’épreuve de leur opposition. Les uns ne voient que la séparation, les autres que la fusion, ce qui nous manque, c’est le trait d’union qui, unissant et divisant à la fois, est l’essence du symbole.

Démunis de cette subtilité interprétative, les constructivistes-déconstructeurs sont réduits à de singuliers paradoxes : la notion de transgenre est utilisée, certes par mode, pour désigner une figure comme celle de Jeanne d’Arc ou d’autres femmes guerrières alors qu’elles ne font qu’incarner un archétype féminin bien connu, depuis Athéna, Camille reine des Volsques, les amazones et autres valkyries. Ailleurs, ce sont des parents qui, poussant un peu loin l’essentialisme involontaire, considèrent que leur garçon de cinq ans est transgenre parce qu’il aime porter des robes. On voudrait leur rappeler que la robe ne fait pas le trans, qu’elle a été l’habit normal des petits garçons pendant des siècles et que le travestissement n’a pas grand chose d’inouï, qu’il soit rituel ou toléré en temps de carnaval ou sur une scène théâtrale.
Les milieux progressistes ne savent plus voir que des individus, dont chaque particularité devrait devenir sa propre micro-norme (ce dont bénéficie le marché), les constations massives sont interdites, dissoutes dans l’observation infinie de cas particuliers. Les milieux conservateurs, par réaction au carré, se crispent sur les généralités chiffrées pensant que seule cette autorité aura raison du subjectivisme, convertis au règne du quantifiable, ils troquent (et sont en cela bien moins excusables que les progressistes) la tradition pour la statistique et le symbole pour la mesure chiffrée.

En conclusion, si la folie du genre et des incessantes chamailleries entre sexes est explicable par des phénomènes de réaction et de rupture d’avec la sagesse traditionnelle et ses symboles, on peut constater que tout a été dit, et son contraire, qui pour déconstruire les polarités sexuelles, qui pour les ré-affirmer, les ENFIN expliciter (mieux que tout le monde avant et pour seulement 9,90 euros), les nier, les défendre, les re-créer, apprendre aux hommes et aux femmes à en être ou à ne plus en être. On peut également penser qu’après les photos d’homme obèse et barbu allaitant de ses restes velus de mamelles l’enfant qu’il avait conçu en tant que femme, tout a été fait. On se gardera bien cependant de l’affirmer, ne voulant pas défier l’imagination tératogène des déconstructeurs
Il serait donc grand temps, une fois tout ceci posé, de se taire. Et pour qui voudrait renouer le lien du symbole et restaurer les constellations orientées de notre rapport interprétatif au monde il suffit de puiser aux sources des auteurs antiques et médiévaux, européens ou orientaux, ou, à défaut, de piocher dans l’un des 499 999 ouvrages de vulgarisation déjà écrits sur le sujet (8)
Wovon man viel zu viel gesprochen hat, darüber muss man schweigen.

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(1) On peut aussi rmonter aux manifestations féministes et homosexuelles du Berlin des années 1920 et das lila Lied, à la Commune et Louise Michel, à Olympe de Gouges … on n’évoque ici que les phénomènes de masse repris par la marchandisation, ce qui n’était pas le cas des discours, ou même mouvements, précédents.

(2) Il est cependant de bon ton de mépriser les productions des années 70 et 80 qui en faisaient autant avec moins de vêtements : la bonne féministe ne montre pas trop la gloire dénudée de son corps de peur de complexer les consommatrices et de trop plaire au « regard masculin » (car le nouveau dogme veut que seuls les hommes prennent plaisir à admirer la beauté du corps féminin), on se bat, certes, mais en combinaison qui couvre du cou aux pieds. Sans doute « par souci de réalisme » (dans des univers de super pouvoirs et de monstres mythologiques).

(3) Voir aussi à ce propos les mythes de la femme engloutissant, avalant, vampirisant la puissance vitale de l’homme lors de l’acte sexuel

(4) « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

(5) Il faut dire que les propos sur le genre, contrairement à ceux sur les arts et les sciences, ou même sur la politique, ne nécessitent aucune formation : il suffit d’avoir vécu une douzaine d’années pour avoir quelque chose à dire sur les garçons, les filles et leurs rapports. Aussi les diverses gazettes et blogs ne manquent pas de rédacteurs potentiels à une époque où le témoignage direct et brut est mieux vu, dans son « authenticité spontanée » que la synthèse, toujours suspecte d’esprit surplombant (donc plus ou moins de fascisme). Conservateurs ou progressistes, tradis ou LGBT, tous s’époumonent en jérémiades et dénonçent une pression qui semble singulièrement polymorphe : tantôt elle incite au mariage et à la reproduction (sans aucune considération pour la sensibilité des « nullipares »), tantôt à l’hypersexualité frénétiquement partouzarde (sans aucune considération pour la sensibilité des « PAM »), tantôt à l’homosexualisme trendy, tantôt à l’hétéronormativité. Tant et si bien que chacun, fort oppressé, résiste vaillamment envers et contre tous les autres.

(6) Ce qui était auparavant vrai de la majorité des médiocrités masculines occupant ces mêmes postes à responsabilités sur lesquels porte le débat. Débat qui ne saurait concerner, et c’est là une autre lacune du féminisme, les postes d’éboueurs, de routiers ou de dockers.

(7) Aux Etats-Unis d’où proviennent ces tendances, de nombreuses manifestations progressistes, souvent en opposition à Trump ou à la venue de polémistes conservateurs, mettent en scène des femmes (ou personnes genderfluid) en surpoids important se livrant en public et par provocation à des hurlements, des simulations (ou non) d’ébats sexuels, à la consommation outrée (et mise en scène) de nourriture ou d’alcool (avec pour slogan, par exemple « j’ai mangé le dernier qui m’a traitée de grosse »). Ces images frappent par leur réduction de l’individu affranchi de toute objectivité à un bébé vagissant soumis à la satisfaction immédiate de ses pulsions et par leur proximité avec l’image antique d’un féminin incontinent, intempérant et incontrôlable, toujours plus ou moins sur le seuil de la transe bachique.

(8) Oui, comme je suis bien brave (mais que SURTOUT j’aimerais contribuer à l’étouffement du sujet en faveur d’un silence empli par la lecture et l’étude des symbolismes et représentations traditionnels) je vous ferai une biblio’

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2 commentaires

  1. A reblogué ceci sur Un Tiers Cheminet a ajouté:
    « Nulle femme est purement femme, nul homme est purement homme, cependant l’humain reconnaît ces principes comme correspondant à la nature idéale de chaque sexe après des millénaires d’observations empiriques. La grande subtilité est que ces médecines et cosmologies traditionnelles, tout en affirmant la norme, l’équilibre et la majorité, ne nient jamais l’exception : tous ces systèmes, autrement plus subtils, complexes et gradués que le bonhomme de pain d’épice évoquent, depuis l’antiquité asiatique jusqu’au moyen âge européen, les cas de femmes masculines, d’hommes féminins et d’êtres correspondant à une parfaite balance de tous les éléments. Simplement ces cas sont reconnus comme des configurations exceptionnelles qui ne sauraient pas plus être niées qu’elles ne sauraient remettre en question la norme et l’essence des symboles. En effet, si un archétype masculin trouve à s’incarner en une femme, c’est cette femme qui est ainsi désignée comme appartenant au monde masculin, et non l’essence masculine de l’archétype qui est remise en cause. Le malheur de notre temps est d’avoir subi une longue négation des exceptions et d’en tirer l’idée folle qu’elles devaient dorénavant devenir normes.
    Au sein même des polarités sexuelles traditionnelles se distinguent différents archétypes, souvent représentés par les divinités auxquelles on pouvait choisir de se vouer, ou d’honorer avec plus ou moins de ferveur : Apollon, Hermès, Héphaïstos et Arès, par exemple, ne représentent pas le même type de masculinité, et là encore, les combinaisons et variables sont multiples. »

    J’aime

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