Début 2015 j’avais rédigé une sorte de manifestule intitulé Penser vaste, agir juste.
J’avais hésité de longs mois avant de le poster sur mon premier blog, songeant qu’il s’agissait peut-être de coups de bélier dans une porte ouverte et l’avais finalement fait à cause du lynchage en ligne d’un ou une camarade pour « crime de pensée ». Depuis, tout a empiré, la panique morale s’est considérablement hystérisée et la pensée « de la barricade » règne de plus en plus. C’est pour contrer ce règne que je lance mon gravillon dans l’océan.
Auparavant cette forme de pensée qui regarde d’abord QUI parle (et inspecte minutieusement son passé) plutôt que CE qui est dit était l’apanage du camp qui se plait à traiter l’autre de « facho » : si un Le Pen quelconque disait que le ciel était bleu, il fallait s’empresser de dire qu’il était rouge, l’idée ayant bien moins d’intérêt que la signature. Depuis, cette « tolérance républicaine » a contaminé l’autre camp : la panique enserre et angoisse tellement les cœurs que toute critique devient trahison, toute remise en question un début de sédition, toute pensée de l’autre camp une pensée adverse. L’état d’urgence idéologique règne, les blocs se figent, au garde à vous des deux côtés.
Celui qui gueulera le plus fort sur les ennemis les plus évidents sera le plus écouté, il peut en profiter pour détourner imperceptiblement le propos, glisser de la harissa misogyne dans son burger anti-SJW, personne n’y prendra garde. Au contraire, on intimera à la voix prudente et mesurée, l’ordre de bien vouloir cesser de pinailler et d’hurler avec les loups : si elle n’est pas avec, elle est contre, traître, la tondeuse n’est pas loin…
Dans cet état de mécanisation des discours et d’édification de la barricade, il me semble donc utile, contre la panique morale et l’état d’urgence idéologique, de répéter ce qui suit.
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Articuscule en forme de manifeste, ou le contraire.
Aucun être n’est « infréquentable » a priori.
Nul ne doit être inquiété à cause de ses amitiés ou fréquentations. Nous vivons à une époque où une simple photo peut porter le discrédit selon les qualités olfactives prêtées à la supposée pensée de qui s’y trouve : tel politique a été pris en photo avec un ancien nazi, drame, panique morale. Une photo qui, de plus, ne dit ni la fréquentation, ni l’amitié… Et quand bien même, être ami avec Staline ou Mao ne doit pas être motif de honte : l’amitié n’est pas une adhésion totale à l’autre, à ses actes, à ses idées, elle peut reposer sur des affinités inexplicables, ou sur d’autres qualités que celles de psychopathe egomaniaque. Qui adhère à l’intégralité de la pensée d’un auteur, ou même à l’entière théorie d’un seul ouvrage ? Combien plus complexe l’amitié qui ne se borne aux seules idées !
Infiniment plus délétère est la notion d’ « idée infréquentable ».
Qu’importe l’état physique ou social dans lequel nous nous trouvons, même si les murs d’une prison, des addictions ou l’argent nous tiennent en dépendance et grèvent nos libertés, l’esprit doit demeurer ABSOLUMENT libre et curieux.
Si corps et caractère connaissent leurs limites, si l’époque, le milieu et cent autres conditionnements façonnent une liberté qui n’est jamais absolue, l’esprit ne doit tolérer aucune limite, aucune interdiction, aucun impensé, aucune « no go zone ». Ce n’est tant l’entendement qui serait infini et omnipotent que le terrain dans lequel il se déploie, comme un animal fini, qu’il soit souris, guépard ou paresseux, dans un paysage infini.
Que cela nous soit règle : toutes les idées doivent pouvoir être examinées par notre esprit même et surtout si elles révoltent nos a priori, retournent nos entrailles, offusquent nos valeurs, a contrario, toute notion, aussi chère nous soit-elle, doit pouvoir être critiquée. L’animal sur le territoire infini ne doit reculer devant aucune ombre, aucun marais, aucune montagne, pas plus qu’il ne doit faire de son tas de foin un paradis incomparable et n’en jamais sortir. Il faut passer des 120 Journées de Sodome à la Cité de Dieu non avec une équanimité relativiste, non avec une égalité de jugement, mais avec la même curiosité et la même puissance de feu.
Toute perspective doit pouvoir être discutée calmement entre personnes de bonne compagnie et d’égale civilité, de l’eugénisme au matriarcat, de l’homosexualité comme tare à la propriété comme vol, de l’inégalité des races à l’abomination du mâle blanc hétérosexuel, cependant que nos principes fondateurs, les piliers inébranlables de notre éthique n’entravent en rien la liberté d’une pensée bondissante.
Un esprit totalement libre doit en effet être tenu par l’application en actes de principes inébranlables sous peine de tomber dans le meurtre, la folie et le relativisme. Contempler une idée, une théorie, la discuter honnêtement ne signifie jamais l’absorber dans une soupe primitive indéfinie où tout est et vaut tout : la liberté n’est efficace et sensée que lorsqu’elle fait droit à la hiérarchisation.
De même l’application d’une morale de l’action intransigeante doit être portée par une liberté absolue de la pensée sous peine de devenir automatisme, mécanisme et abrutissement.