Je reproduis ici un article que j’avais écrit à l’été 2012, c’est à dire il y a belle lurette, et posté jusqu’à présent sur mon ancien blog. Le style y est parfois maladroit, aussi accrochez-vous :
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On constate depuis quelques années une résurgence massive du genre fantastique, à grands effets de dents saillantes, de poil luisant, mais encore plus de muscles huilés et de brushings impeccables. La quasi concomitance, cet été, des sorties sur nos écrans, grands ou petits, de Dark Shadows de Burton, de la cinquième saison de True Blood sur HBO et de la version française de Death Valley sur MTV nous invitent à reconsidérer ce phénomène déjà bien installé et chercher ses possibles racines.
Certes Burton ne fait que reprendre une des séries concurrentes de la Famille Addams et des Monsters qui fleurirent dans les années 60/70 et continuer la veine de ses comédies romantico-gothiques mais ce genre, qui était alors réservé à un public d’adolescents ou d’amateurs de films B et séries Z, se voit ces dernières années plébiscité par tous et sous des formes très semblables. Chacune dans le ton caractéristique de ses auteurs ou réalisateurs (familial et romanesque chez Burton, violent et sensuel sur HBO, parodique et décalé sur MTV), ces œuvres sont de vrais bestiaires du fantastique, tels que l’école frénétique a pu en produire au début du XIXeme siècle : outre le sempiternel duel vampire/loup garou défilent, introduits avec plus ou moins de finesse, des banshees, des spectres, des zombies, des sorcières, des mambos (la prêtresse, pas la danse), des changeurs de forme et des cat-people que l’on avait presque oubliés après le duo Kinski-fille/MacDowell de La Féline.
Hors les écrans, l’invasion monstrueuse se poursuit avec, ou plutôt découle de, la littérature, dans des genres « nouveaux » tels quel la Bit-lit (sorte de collection Harlequin pour mordues des mordeurs) ou dans les genres traditionnellement réservés public originel de ces chroniques fantastiques comme la BD (comics, franco-belge ou manga) avec une variante récurrente de l’inventaire tératologique : le lycée pour monstres. De façon documentée et culturellement riche avec Freaks Squeele de Florent Maudoux ou à fin de récupération marchande éhontée avec Monster High de Mattel (la firme de jouets rendue célèbre par Barbie) le bizarre est roi et fait vendre.
Le phénomène touche même aux tribus urbaines : le « freak » est tendance, les thèmes des poupées maléfiques, les dentelles noires, la pose de punk asocial ou de dandy « bizarre » n’est plus réservée aux bars et soirées goths mais se vend en grandes surfaces avec accessoires estampillés. Certains aiment à y lire les angoisses d’une société en mutation, la hantise du « zombie des grandes masses », la quête de l’éternelle jeunesse et le refuge dans un hédonisme individualiste que pourrait incarner le mythe du vampire… Cependant à y regarder de plus près, ces monstres en sont-ils encore ?
Depuis des années, rares sont les œuvres fantastiques à nous proposer encore de véritables « monstres », des figures terribles hors des frontières rassurantes de nos lois morales et sociales : le Lestat luciférien de Rice est repris en la figure d’Eric de True Blood, mais fait désormais tache parmi les vampires moraux et désireux de se fondre dans la masse et vivre « normalement ». Le Barnabas de Burton se salit quelque peu le jabot, et encore, il le fait pour le bien de son clan, mais ce que l’on retient, ce qui frappe chez toutes ces créatures de la nuit, c’est leur normalité : ils sont comme nous, nous dit-on. Avec Monster High, Mattel dit à ses petites consommatrices : réveille le « freak » en toi, sois bizarre, mais un bizarre à la mode, entre l’entraînement des pompom-girls, les ragots de couloirs, les organisations de bal de promo…
Tout ce qu’il reste aux vampires hollywoodiens est le charme, le glamour, et l’aura un petit peu mystérieuse, c’est-à-dire ni plus ni moins que n’importe quel prince charmant élémentaire. Les vampires sont des rock stars, des mafieux, des prostituées, les loup garous des bikers, les momies des gossip-girls et les métamorphes vont au supermarché du coin faire leurs courses pour nourrir leur famille… Quand Julie Delpy sacrifie à la tendance générale avec La Comtesse en 2009, elle nous chante le même refrain : la sanglante Bathory n’est qu’une femme esseulée, trahie, malade d’amour et rongée par l’angoisse de la vieillesse, mal conseillée qui plus est… en somme, n’importe quelle quadra moderne lectrice de magazines féminins. Le monstre est tendance, certes, mais si on en gomme les aspérités, si on éteint sa rage, si on n’en fait ressortir que la souffrance et passe le plus clair de son œuvre à en justifier chaque méfait comme le ferait un avocat. Adieu la sadique, adieu la lesbienne, adieu la sataniste… l’esthétique monstrueuse oui, mais comme une dépouille gonflée à la moraline (tout ceci est un constant théâtre de la mauvaise conscience du monstre qui a honte d’en être un, ou n’en est tout bonnement déjà plus un).

Voici donc les « monstres » que les media de masse proposent au grand public, des monstres qui ne sont que des peaux, des apparences, au mieux des super-pouvoirs, que l’on a vidé de leur essence monstrueuse. De même les « freaks » sociaux, si à la mode, ne sont que des looks vidés de la portée contestataire de leur contre culture dès lors que la société de consommation à réussi à en faire ses objets. La dictature douce de la consommation a réussi bien plus efficacement à éradiquer ses déviances et ses monstres que ne l’avaient fait le puritanisme moral victorien, ou l’indifférence des années 80/90 qui les laissait aux jeunes et aux missfits : elle les a rendus « à la mode », elle se les est incorporés. La ménade ainsi apprivoisée n’a plus aucun sens, sans son caractère terrible, marginal, hors les villes, hors les murs, épisodique et cathartique. Présentée quotidiennement sur la place publique, objet de l’adoration des foules, elle n’est qu’un clown triste et absurde.
Cependant, si la normalité peut se parer ainsi de la dépouille du monstrueux, elle n’a pas pu en capturer l’essence : les ménades de carnaval n’oseront pas encore demain rejoindre celles qui dansent, hurlent et tuent plus loin dans les marges, plus profondément dans l’ombre.

Assez juste. J’aimerais vous faire remarquer que ce genre d’oeuvre permet également d’étendre la notion de monstruosité au commun des mortels. C’est à dire que l’on sort de l’angélisme. On fait du monstre une figure qui peut nous être proche presque nous même. Ce qui d’une certaine façon peut-également pousser nos contemporains à questionner sa nature monstrueuse.
L’inversion n’est peut-être pas aussi nuisible que vous le pensez. Après les mauvaises oeuvres sont pléthores dans l’histoire de l’art. Vous semblez avoir les pieds sur terre je pense que vous apprendriez beaucoup en rencontrant ceux que vous semblez détester.
Amicalement.
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Il y a méprise je crois ^ ^ : je parle depuis la marge, du côté du monstre (enfin non, sur le seuil plutôt, un pied dans chaque monde, mi-freak mi-femme) c’est précisément par estime et par admiration pour leur puissance que je ne souhaite pas voir celle-ci dissoute dans la norme.
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