Le Jour de Freyja : Constance Houang

Les premiers dessins que j’aie vus de Constance étaient des projets de confection textile alternative. Nous étions dans une vieille et sale petite boutique et rêvions d’en faire un pôle de création artistique, de troquer les sempiternelles fringues conçues en Allemagne, fabriquées en Chine, stockées en Pologne et vendues à l’identique dans tous les magasins gothiques du monde pour une ligne authentiquement parisienne, racée, élégante. Sur un bureau branlant qui avait connu des bières renversées, des pizzas et quelques coups de marteau les jours de colère slave, sous un néon agonisant et quelques boas poussiéreux, Constance avait ouvert son carnet et un portail de grâce dans cet univers sombre et croulant. A mille lieux des simples reproductions artistiques ou architecturales en impression textile, elle avait crée cathédrales et reliquaires, armures de beauté et de vanité enchâssant une chair divinisée. Ses créations se déployaient en rosaces écorchées, en ogives de tendons, ses créatures prirent un temps possession du lieu transfiguré dont l’air s’emplit des vibrations mourantes de cantiques et de dévotions : vierges armées, démones martyrs, madones en majesté chlorotique…

Puis, d’artiste passionnée de littérature médiévale, Constance devint une amie, et je me mis à suivre ses créations et découvrir son univers enchanté, d’abord celui d’une conteuse des couleurs, puis celui d’une character-designeuresse au trait toujours fin, toujours pur, toujours aspirant à la hauteur, sans jamais la moindre trivialité même dans le quotidien (comme ses adorables scènes de la vie de deux jeunes spooky-sorcières que vous aurez à chercher par vous-même dans ses dessins). C’est cet univers que je vous invite à découvrir sur son compte ArtStation (œuvres plus récentes) ainsi que sur sa page FesseBouc (œuvres plus anciennes) et son compte Instagram
Mais aussi via le trailer qu’elle a dessiné et animé.

Sur ton portfolio, les influences majeures que l’on perçoit oscillent entre SF et fantasy, dans des univers qui évoquent le jeu de rôle, la bande dessinée, les jeux vidéo : es-tu toi-même une gameuse ou une geek ? Quels sont tes jeux, tes films ou jeux de rôle préférés ? Et quels univers visuels issus de ces cultures ont nourri ton imagination ?

« Je suis plus geek que gameuse, pour la simple raison que je joue assez peu, mais que j’aime bien regarder des let’s play et découvrir l’histoire d’un jeu. J’ai également été rôliste au lycée mais n’ai pas eu l’occasion de rejouer depuis. Je ne pourrais pas me prononcer sur un jeu préféré puisque je ne joue pas suffisamment, mais des jeux récents comme Seasons after fall, Life is Strange ou encore Kingdom m’ont beaucoup plu, tant d’un point de vue esthétique de du scénario, ou de l’histoire que l’on peut broder autour. En termes de films j’aime beaucoup le Seigneur des Anneaux, les films de SF un peu nanardesques des années 90 comme Robocop, mais aussi la série des Mad Max, ou bien le plus récent Repo the genetic Opera et aussi des films avec une violence très outrancière comme les films de Tarantino ou Robert Rodriguez, ou le récent Deadpool. En termes d’univers visuels, j’ai toujours été très fan des dessins d’Olivier Ledroit, des peintres symbolistes et pré-raphaélistes, Giger, et des designs de Warhammer 40K, et depuis toute petite de la Belle et la Bête de Cocteau et du Peau d’Âne de Jacques Demy. J’ai toujours été très fan de contes, et les illustrations de ces livres m’ont probablement aussi inspirée.

Dans d’autres illustrations c’est le nocturne, astral ou mythique, qui occupe une grande place. Quels mondes, quelles créatures, quelles formes hantent tes nuits ? Et d’où te vient cette sélénotropie ?

« Je ne saurais pas dire d’où ça vient. Je me souviens que petite, j’étais fascinée par l’univers et les planètes, j’aimais beaucoup les sciences physiques, et je me rappelle que ma mère nous avait lu à mon frère et moi des mythes de la cosmogonie égyptienne. Et regarder les étoiles était un genre de rite estival avec mon père. En grandissant j’ai toujours été très attirée par la mythologie antique, et plus tard ma mère m’a parlé de Jérôme Bosch. Je suppose qu’entre les satyres, vampires et autres et les monstres de Bosch il y a un drôle de monde dans ma tête. J’aime aussi beaucoup la cartographie ancienne, probablement parce que le cosmos devenait beaucoup plus magique sous la plume des illustrateurs des siècles passés. »

Enluminures ou amour courtois, le Moyen Age est aussi à l’honneur dans les couleurs foisonnantes et les motifs. Quelles périodes du Moyen Age t’inspirent-elles, quels aspects, et que t’inspirent-ils ?

« J’ai découvert le Moyen-Âge à la faculté. J’avais déjà eu un peu d’histoire dessus auparavant, surtout ayant de la famille vers Carcassonne, la visite de la Cité pourvoyait un divertissement facile pour ma grand mère. Puis je me suis intéressée à l’art des nœuds celtes, et à la musique celtique et médiévale, et je suis tombée amoureuse des chants grégoriens et ensuite de Clément Janequin (par contre lui vient de la Renaissance). En histoire de l’art, c’est le livre d’Heures, la statuaire et la peinture gothique, et évidemment Jérôme Bosch. Mais c’est vraiment à la faculté que j’ai étudié les textes médiévaux par le biais des sciences humaines, et en ai appris plus sur la spiritualité et la société médiévale classique, et sur le bas moyen-âge. J’ai aimé leur richesse symbolique et les représentations du sacré, entre christianisme et magie, et aussi la diversité des motifs, du plus sacré et du plus haut au plus bas et au plus incarné et humain. »

Par quelles étapes es-tu passée pour perfectionner ta technique ? Quelles formations, suivies ou ponctuelles, quelles pratiques régulières ?

Je dessine depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, mais j’ai vraiment commencé à prendre cette discipline au sérieux à partir du collège. J’ai commencé à faire de petites BDs à cette époque, puis mes parents m’ont offert des livres, tant sur la BD que l’anatomie, et enfin après une année de prépa Lettres j’ai déménagé à Paris où j’ai appris le design graphique et l’illustration. J’ai eu la chance d’avoir une formation en dessin très académique là-bas, qui totalisait en moyenne 14h de dessin par semaine, ce qui a permis de solidifier des bases pour l’illustration. Maintenant, je dessine toujours quand j’en ai l’occasion, bien que le fait que ce soit un métier rende la chose parfois moins agréable. Je n’ai pas vraiment de routine d’exercice en matière de création, mais je dirais que l’utilisation de références permet bien souvent de comprendre une structure que l’on dessine ou de nous sortir de l’impasse. En général je passe aussi des heures sur mon temps de repos à tourner et retourner un design dans ma tête jusqu’à ce qu’il ait finalement du sens. C’est en général aussi une excellente idée de solliciter des critiques et toujours de rester humble par rapport à son travail.

Vie quotidienne ou soirées extraordinaires, à quel point ce que tu vois et vis nourrit-il ta création ?

Tout peut à un certain point devenir un sujet de création, ou un début d’histoire, que ce soit le fruit d’une recherche active ou non. Récemment, je me suis rendue au Père Lachaise avec mon compagnon, et en me promenant entre les tombes et les mausolées, certains d’entre eux avaient tous les éléments d’un bon début d’histoire… Dans le quotidien j’ai aussi beaucoup créer des petits accessoires de mes mains, et souvent le fait de dessiner un costume pour un personnage m’inspire une future création pour moi : je vais depuis deux ans au WGT, un festival connu pour ses extravagances en matière de costumes et d’habillement et j’en reviens en général la tête pleine d’idées. De même que des bals tels que le Gala Nocturna ont pu être de vraies inspirations pour moi. (en plus de constituer des parenthèses géniales dans le quotidien)
A quel type d’histoire, à quels personnages aimerais-tu donner forme esthétique, que ce soit à travers l’illustration de récit, le character design ou la bande dessinée?

J’avais eu par le passé l’envie d’illustrer les Lais de Marie de France, une série de poèmes médiévaux, mais je ne m’y suis jamais attelée. Mais dans l’ensemble je crois que j’aimerais mieux travailler pour une histoire fantastique, peut-être une intrigue politique à la Game of Thrones, ou une épopée fantastique et pleine de magie. En tout cas je pense que j’ai besoin de magie.

QUESTIONNAIRE :

Quelle est votre lumière préférée ?
Je crois que j’aime les lumières du soir, avec les ombres denses ou bien « [this] autumn tint of gold » dont parle Edgar Poe. Même si j’ai un souvenir d’une lumière d’aube incroyable un matin ou levant le nez de mes notes en classe j’ai aperçu un ciel violet très vif.
Quelle est votre forme préférée ?
Le croissant de Lune, et les flamèches gothiques.
Quelle est votre nuance, teinte ou vibration préférée ?
J’aime les couleurs denses de pierres précieuse, comme le grenat, le rubis ou l’émeraude, et les teintes un peu sourdes.
Quelle est votre texture préférée ?
Le velours de soie sans hésiter.
Qui, vivant ou mort, réel ou non, aimeriez-vous avoir comme modèle, devant votre carnet, toile ou objectif ?
Oscar Wilde, Proust ou Yves Saint Laurent, j’hésite.
Quelle scène aimeriez-vous vivre ?
La liturgie du Graal à la fin de la Queste del Saint Graal.
Quel monde imaginaire aimeriez-vous parcourir ?
Le monde des lais de Marie de France et de la légende Arthurienne.
Nommez trois artistes que vous voudriez faire (re)découvrir.
Sarah Moon
Joel Peter Witkin
Brom
Décrivez votre muse.
C’est probablement un genre de sylphide qui explore les forêts, sans cesse, regarde tout, touche à tout, qui ne s’arrête jamais de courir, mais ne peut pas non plus s’empêcher d’espionner ses voisins les hommes, par les fenêtres ou les trous des serrures. Et je pense qu’elle vit peut-être dans les greniers ou les châteaux en ruines.