Le Pen / Macron : l’épouvantail et le démon.

Deuxième tour de l’élection présidentielle 2017 : Le Pen ou Macron.
Des initiatives semblent être en œuvre pour faire annuler le scrutin en raison de plusieurs irrégularités (1) sans que l’on sache si elles sont très sérieuses. En attendant, et à moins d’actions directes et ciblées, le prochain chef de l’État sera soit Marine Le Pen, soit Emmanuel Macron.
Cet article s’adresse à ceux (principalement d’entre mes amis, je n’ai guère d’illusion quant à la portée de ce blog nouveau-né) qui seraient tenter de « voter Macron pour faire barrage à Le Pen » : le diable n’est pas dans l’épouvantail.

 

D’un point de vue sociologique, le FN sert de repoussoir universel à la classe politique, de tabou primitif. Le refus de ce parti sert de validation implicite à quiconque tient un discours sur la vie de la cité (polis).  Le Front National sert à se rassurer : « eux » ce sont les beaufs, nous, nous sommes éclairés.

Le propos serait des plus rasoirs s’il devait être une apologie frontiste. Il n’en est évidemment pas question : je parle à des personnes de gauche. Il s’agit seulement d’examiner avec recul ce qui fait du FN cet épouvantail qui, pour l’instant, masque le véritable danger.
Deux réponses: sa généalogie et ses défenseurs.
Ce sont moins les idées du Front National qui fâchent que la famille Le Pen, l’origine politique et les amitiés de certains cadres et les militants les plus stupides que les média aiment mettre en avant : ceux qui font des saluts nazis et disent défendre l’identité française avec cinq fautes de syntaxe en deux phrases.

Passons désormais à Emmanuel Macron, avant de revenir sur le programme du FN. En effet, Macron ne semble pas avoir de dossier, de casseroles. Et encore heureux : c’est précisément pour cela qu’il a été choisi. Pour être ce masque lisse et creux, pour vendre une persona jeune et dynamique aux Français lassés des têtes trop connues. Ses débats, ses allocutions le montrent bien : quand il ne se contredit pas, il n’a aucune idée de ce qu’il est en train de dire. Comme dirait Asselineau « Vous êtes d’accord avec tout le monde ».
Emmanuel Macron n’existe pas : il n’est que le nouveau costume de l’oligarchie politico-médiatique. Au milieu des discours consensuels et du flou artistique, on peut noter qu’il est le seul candidat favorable au TAFTA / CETA, et que, s’il se défend d’accepter le commerce des ventres (la GPA) en France, il veut reconnaître la filiation des enfants qui en sont nés à l’étranger, ce qui revient à dire que le
Lumpenproletariat neo-esclavagiste est acceptable tant qu’il est pudiquement caché par une frontière (et, de fait, constitue un encouragement à contourner la loi pour participer à cette réduction des femmes aux pondeuses de Mad Max Fury Road). Ce double mouvement, vers le globalisme ultralibéral et l’asservissement du « fonds humain », est extrêmement révélateur : c’est là que se cache le démon, tandis que tous se battent contre un épouvantail.
Ce dont Macron est le masque ne propose aucun changement, aucune révolution dérangeante vers un passé « nationaliste » ou « soviétique » (comme Le Pen et Mélenchon ont été caricaturés) : il n’est que l’accélération encore confortable de la pente sur laquelle nous glissons depuis plusieurs années. L’installation de la dictature du chiffre et de la masse, du virtuel et du prolétariat charnel, se fait sans heurts : c’est le principe cyberpunk des dystopies mises en scènes dans
Le Meilleur des Mondes et la série Black Mirror. C’est un esclavage amusant, distrayant… et consenti, si par malheur nous lui accordons nos suffrages dans une semaine.

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Il va de soi que vous n’adhérez à aucun de ces deux programmes. Vous avez l’impression d’avoir à choisir entre l’Empereur (de Star Wars, pas de Warhammer 40 000) et Tyrell (de Blade Runner). Fort heureusement, comme l’exemple états-unien nous le démontre de plus en plus, il ne s’agit pas d’une « élection dictatoriale »: on ne choisit pas une personne à laquelle on remettrait les pleins pouvoirs. Trump a déçu ses adversaires (en bien) et ses soutiens (en mal) en devant se plier à l’exercice, et surtout aux limites du pouvoir. Il en va de même en France : la Constitution, l’Assemblée Nationale, le Sénat, le Conseil Constitutionnel, l’appareil judiciaire, les pouvoirs locaux… tout ceci fait que non, si Marine Le Pen est élue, les CRS ne viendront pas, l’écume aux lèvres, déporter vos amis binationaux ou étrangers. (2)
Et c’est là qu’interviennent deux différences entre Macron et Le Pen.

La première est que toutes les réformes profondes et potentiellement effrayantes proposées par le Front National (la sortie de l’Union Européenne et de l’euro, par exemple) seront soumises à un référendum. Le référendum d’initiative populaire est également au programme. C’est précisément pourquoi ce parti est dit populiste : pas parce qu’il flatte les bas instincts du peuple (ce qu’il fait aussi, comme tous les autres partis) mais parce qu’il entend, comme celui de Mélenchon, lui donner la parole. Rien de ce qui fait peur dans le programme frontiste n’est applicable d’en haut.
Ce qui me fait penser que c’est peut-être moins du Front que certains ont peur, que du peuple… Et je ne leur jetterai certainement pas la pierre, étant moi-même très moyennement démocrate (3). Mais, objectivement, en simples termes de démocratie, celle-ci est plus du côté du référendum que du 49.3.
La seconde est que votre intérêt est, dans les deux cas, de vous opposer, de toutes forces, à l’application des programmes, et à peser le plus lourd possible dans les législatives pour, si possible, à imposer au candidat élu une cohabitation (4). Comment l’opposition (donc vous) pourra-t-elle peser ? Par la rue, par l’Assemblée et par les média. Le candidat qui doit vous effrayer le moins est celui qui sera le plus isolé, le moins puissant.
Si Marine Le Pen est élue, la rue et les média seront unis contre elle, une partie des pouvoir locaux aussi, et très certainement l’Assemblée (mais là, c’est à vous de vous démener en campagne). Donc elle ne pourra que difficilement proposer (au référendum, ne l’oublions pas) ses mesures.
Si Emmanuel Macron est élu, la rue sera contre lui. Et c’est tout. Les média lui sont acquis, et l’Assemblée ira à la soupe. Il aura les mains libres, et c’est parti pour votre dystopie oligarchique ultralibérale préférée (parce que lui gouvernera par 49.3, pas par référendum).

De façon purement stratégique, votre intérêt est donc dans l’abstention ou le vote blanc (qui a le mérite d’être une mobilisation, un vote actif). Un candidat élu avec un nombre de voix ridicules n’aura aucune légitimité dans ses relations internationales et dans ses propositions à l’Assemblée.
Ou, si vous êtes résolus à la stratégie du barrage, ne tombez pas, par peur de l’épouvantail, dans les filets de l’Oiseleur : c’est bien à Macron qu’il faut, de toutes forces, s’opposer.

Et pour conclure, un petit comparatif fourni par l’AFP, que l’on ne peut guère taxer de frontisme exacerbé.

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(1) De nombreux électeurs n’ont pas pu voter, d’autres ont constaté qu’on leur remettait un bulletin pré-rempli, au nom de Macron ou de Fillon http://www.rtl.fr/actu/politique/election-presidentielle-des-anomalies-constatees-dans-des-bureaux-de-vote-a-paris-7788251639

(2) Et on ne parle même pas des Français non-Blancs, qui n’ont strictement rien à craindre : les cadres de la démocratie française sont très forts et contraignants, vous n’allez pas vous réveiller dans un assemblée générale du KKK, avec des croix de feu et des fruits étranges pendus aux branches des peupliers. Ce qui est le plus reproché au Front National est l’idée de préférence nationale et de « France aux Français », ce qui, non sans un certain racisme ironique, devient pour certains « la préférence raciale » et « la France aux Blancs ». Heureusement (ou hélas pour certains) il n’en a jamais été question que dans la panique morale d’une intelligentsia qui projette son propre racisme sur l’épouvantail frontiste.

(3) Je suis pour ma part une sorte d’anarcho-monarchiste, ce qui reste bien plus socialement acceptable que de se revendiquer du Front National.

(4) Encore une fois, même si la Vème République est dite « présidentielle », le président ne peut strictement rien faire sans l’appui du gouvernement et de l’Assemblée. Demandez à Chirac qui a sans doute oublié beaucoup de choses, mais sans doute pas ça.

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Illustration par Allan Barte de la légitimité retirée d’une large mobilisation électorale. Ne devenez pas le trône de chair du robot Macron.

12 commentaires

  1. Bonjour,

    « [la préférence nationale prise pour la préférence raciale] il n’en a jamais été question que dans la panique morale d’une intelligentsia qui projette son propre racisme sur l’épouvantail frontiste ». Waouh. J’en ai le souffle coupé. Je crois bien que personne n’avait osé avant (mais ça me semble extrêmement bien vu). Il ne plaira pas à tout le monde, mais je vais partager cet article de blog.

    Merci.

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  2. Merci de confirmer ce que j’avais moi-même déduit de cet entre-deux tour : il serait moins nuisible à notre démocratie politique et à notre démocratie sociale que MLP soit élue que Macron. Pour les raisons que vous donnez : MLP aura tous les contre-pouvoirs contre elle, elle sera alors OBLIGEE de composer (à moins d’imposer un régime totalitaire, ce que je ne crois pas possible), Macron lui concentrera entre ses mains tous les pouvoirs politiques (tous les vieux briscards de la « profession » politique se rallieront à lui, tout pour conserver son siège d’élu !), plus l’appui de la technocratie européenne (dans son rôle de propagandiste zélé du TINA) plus celui de la médiacratie , devenue experte dans l’art de présenter les mesures de régression sociales comme « progressiste ». Il pourra faire ce qu’il veut et je ne suis pas sûre qu’il ne fera pas alors violemment réprimer les mouvements contre sa politique qui s’exprimeront dans la rue, puisque nous n’aurons plus que cet espace pour exprimer notre opposition.

    A la différence de vous je chéris la démocratie et me désole de la voir se réduire à une peau de chagrin, les 5 minutes qu’il faut pour mettre un bulletin de vote dans l’urne tous les 5 ans. J’ai voté Mélenchon au premier tour parce qu’il était le seul à vouloir rompre avec ce régime liberticide et parce qu’il a parlé aux français comme des adultes, des personnes responsables et intelligentes au lieu de nous infantiliser et de nous abrutir. Pas question que je donne ma voix à MLP, son discours raciste est contraire à toutes mes valeurs, mais en toute tranquillité d’esprit je mettrai un bulletin blanc

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    • Oui, même si je suis « moyennement démocrate » j’aimerais autant qu’on cesse d’insulter ce concept en nommant ainsi la confiscation de souveraineté qu’est ce système électoral de représentation. La démocratie, ça n’est pas, je pense, l’insigne honneur de choisir de temps en temps ceux au profit desquels on abdique. Elle doit être participative, l’initiative doit pouvoir venir de ce qu’on appelle, avec mépris « le bas », et qu’on pourrait plutôt nommer « le socle ».

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  3. Excellente analyse, hormis à mon sens l’usage du mot ultralibéralisme, je dirais que notre modèle économique actuel, plutôt qu’un véritable libéralisme (a fortiori « ultra ») relève bien davantange d’un capitalisme de connivence (étatiste, oligarchique), un pervertissement de l’idée libérale originelle.

    Selon vous, quel impact aurait un score élevé de Macron sur la Droite dite de gouvernement ?

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    • Merci beaucoup pour cette rectification. Je confesse tout à fait ma piètre connaissance théorique du véritable libéralisme et ma tendance à trop souvent employer ce mot pour « capitalisme ».

      Worpress m’a causé toutes les peines du monde et je n’avais pas accès aux commentaires, aussi n’ai-je pu répondre à temps à cet exercice de prévision hypothétique… Et je serais une piètre prévisionniste puisque, peut-être par naïveté, j’aime à penser que les personnes, les mouvements, les dynamiques peuvent nous surprendre.

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  4. « Le Front National sert à se rassurer : « eux » ce sont les beaufs, nous, nous sommes éclairés. »
    Je suis bien entendu d’accord avec l’ensemble de la démonstration, et surtout avec ça.
    Et c’est parce qu’on a besoin de se rassurer qu’on a le Front National. Le complexe qu’une grande partie de la France ne se cache même pas d’entretenir en se moquant de tout un pendant de la population qui ne répond pas aux mêmes codes culturels qu’elle, me dégoute, et puis il est dangereux. Quand j’entends « les gens qui votent FN n’ont pas de cerveau » de la bouche de gens que moi je croyais éclairés, ça m’attriste vraiment.

    Bref, j’m’emporte. J’ai adoré l’article, merci!

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    • Merci à vous !
      Cette fonction de tabou du FN est stupéfiante : j’ai l’impression que, de même que lors du baptême on entre dans l’Eglise en « rejetant Satan » (enfin, via parrains interposés la plupart du temps) on entre dans le « discours politique audible » en « rejetant le FN ». Il faut que le FN existe pour que les autres puissent se trouver décents et supporter leur reflet dans le miroir : « je mens, je vole, je suis corrompu, scabreux, népotiste, etc etc etc… mais AU MOINS je ne suis pas allié au FN ! »

      à la suite de débats avec des camarades et connaissances, j’ai pu constater que les mots « Front National » entraînaient une fermeture nette et sans appel de toute rationalité, de toute objectivité, c’est réellement comme invoquer Satan dans une kermesse paroissiale.
      Cet irrationnel, chez des personnes au demeurant tout à fait rationnelles, m’inquiète beaucoup.

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